Pascale Bernal, une autodidacte du SI

J'ai eu la chance de vivre une belle expérience de l'agilité pendant 4 ans au sein de la DSI de GRDF, dans la grande équipe de Pascale Bernal, directrice des systèmes d'information. Il y a plus d'un an, et dans le cadre de l'association dont j'étais membre à l'époque, je l'avais interviewée. Pour des raisons diverses cette interview était restée dans un coin de mon ordinateur. Je la publie aujourd'hui avec grand plaisir.

PASCALE BERNAL, UNE AUTODIDACTE DU SI

La Direction des Systèmes d’Information de GRDF, distributeur gazier français, c’est 130 applications, une communauté de 850 collaborateurs, 81 projets applicatifs destinés aux clients, aux partenaires et aux collaborateurs GRDF. A sa direction, une femme : Pascale Bernal. Autodidacte du SI, elle nous raconte son parcours et les enjeux auxquels doit faire face son équipe.

Bonjour Madame Bernal. Pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?

Je suis ingénieure de formation. J’ai toujours travaillé à EDF et GAZ de France, mais je n’ai pas commencé par le SI. J’ai d’abord travaillé dans des métiers techniques opérationnels de management d’exploitation en électricité et en gaz. Ensuite je me suis dirigée vers des activités de contrôle de gestion puis de stratégie de benchmark et d’analyse des acteurs pétrogaziers et des distributeurs étrangers. Après ce passage je suis revenue sur le terrain pour être sur des fonctions commerciales marketing et clientèle. Je suis ensuite partie aux Etats Unis pendant plusieurs années pour suivre mon mari qui avait été muté. En revenant, j’ai travaillé dans des activités plutôt clientèle en préparation de l’ouverture du marché de l’électricité et du gaz.

L’ouverture du marché a été l’occasion de construire de gros systèmes d’information en un temps record sur des processus qui n’étaient pas connus. Les premiers mois ont été mouvementés. Il y a eu de vraies difficultés. Et c’est comme ça que je suis arrivée dans le SI. Un jour Jacques Gérard m’a dit « va voir ce qu’il se passe parce que ça ne marche pas. »

Mon premier travail ça a été de rencontrer les équipes SI qui me disaient que globalement tout allait bien et petit à petit de comprendre d’où venaient les problèmes, d’essayer de les caractériser, de les quantifier avant de pouvoir leur donner une solution. Il a fallu créer des indicateurs de bon fonctionnement du marché, qui passaient beaucoup par le bon fonctionnement du SI, et les vendre à la Commission de régulation de l’énergie. Je suis rentrée dans le SI la tête la première pour essayer de comprendre. Lors des premières réunions on me parlait d’environnements, de sujets très techniques que je ne comprenais pas.

La Commission de régulation a fait un audit et a demandé qu’il y ait une seule tête qui s’occupe de l’ensemble des sujets y compris la partie SI. Et c’est comme ça que j’ai pris la responsabilité de l’ensemble des équipes acheminement et SI en 2009 et pris la tête d’OMEGA, notre portail fournisseur. On a remis le système sur les rails en l’espace de 2 ans. Et que j’en ai pris la direction.

Comment avez-vous fait pour vous faire une place, une expertise et une crédibilité dans un univers nouveau et qui plus est très masculin ?

J’étais très habituée aux univers masculins dès mes débuts en exploitation électricité et gaz. Donc cela n’a jamais été un problème. J’ai beaucoup posé de questions, lu, rencontré de gens et j’ai beaucoup échangé avec des cabinets d’analystes du monde entier. Dès que j’avais une question je la posais, je croisais les informations de x personnes. J’ai été curieuse. Une autodidacte du SI.

Est-ce que vous pensez que c’est indispensable d’avoir une base ingénieure, un peu technique pour appréhender ce métier ?

J’ai du mal à le penser parce que certains ne sont pas ingénieurs et parviennent à percer dans le métier. Le fait d’être ingénieur m’a aidé. Mais ce qui semble le plus important c’est d’être curieux, de se poser des questions, d’avoir envie d’apprendre et d’aller au fond des choses. Certaines personnes disent que ce n’est pas compliqué, qu’il suffit de dire « je veux ci, je veux ça » aux prestataires et que ça se fera. Ou parce que le projet est au au forfait, on n’a pas besoin de comprendre. Selon moi il ne faut pas rester à la superficie des choses mais il faut rentrer dedans, poser des questions et vouloir comprendre. Si on n’aime pas la technique, il faut faire autre chose.

Est-ce que vous pouvez me décrire votre journée type ?

En général je commence vers 8h et je termine vers 00 : 00 ou 1h du matin. Je suis en réunion de 8h le matin à 20h le soir. Et je commence à travailler après. Lors des réunions je rencontre les équipes pour travailler sur les projets, j’ai des contacts avec les autres métiers, ce que je considère comme absolument majeur. On voit toute l’entreprise, on connaît toutes ses transformations, on est dans un rôle totalement transverse. Donc pour comprendre, il faut rencontrer les autres métiers et les utilisateurs du SI qui ne sont pas forcément dans les mêmes locaux. Je vais en région les voir. Je ne me déplace pas assez mais j’essaie de le faire. Il faut aller voir à l’extérieur, s’ouvrir, échanger avec d’autres entreprises.

Est-ce que vous avez l’impression de ne pas avoir le temps de faire tout ce que vous avez à faire ?

Tout le temps ! Je délègue mais je vois bien que les gens autour de moi ont aussi beaucoup de travail. Le problème ce n’est pas de ne pas avoir le temps. Même avec 3 vies je n’aurais pas suffisamment le temps. Il faut faire des choix et on voit après si ce sont les bons.

Comment avez-vous fait pour concilier vie professionnelle et vie familiale ?

C’est amusant car c’est une question que l’on ne pose qu’aux femmes. Et on continue à la poser, ce qui montre que l’on a encore un bout de chemin à faire ! Cela n’a jamais été une vraie difficulté. En revanche, je sais ce que c’est de vivre fatigué. Vous ne pouvez pas le faire seule donc il faut avoir un réseau et une organisation à la maison qui puisse tourner toute seule.

Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre métier ?

L’étendu des possibles, une énorme variété d’activités. Le SI a un double intérêt : c’est extrêmement opérationnel et stratégique. Il permet d’orienter des décisions structurantes. Le SI c’est un vrai métier. J’ai d’ailleurs découvert en arrivant dans le SI le mot « métier ». J’ai essayé d’expliquer à mes équipes qu’il n’y a pas de raison de dire « le métier » et « le SI ». Qu’il fallait appeler le métier par son nom, que ça changerait la façon dont on voit les choses. Le SI c’est un vrai métier, aussi. Je le dis d’autant plus facilement que j’en ai fait beaucoup d’autres dans ma carrière et que je considère que ce n’est pas le plus facile même probablement l’un des métiers les plus compliqués mais aussi les plus intéressants.

Est-ce que vous faites partie de réseaux professionnels et est-ce que cela vous a apporté dans votre carrière ?

Je fais partie du réseau GDF SUEZ Women in networking et d’un réseau de femmes DSI. Je trouve ça assez sympa les réseaux de femmes. Globalement ce n’est cela qui a poussé ma carrière. Néanmoins je pense que cela contribue à l’image que l’on peut donner de soi, et cela permet d’échanger, de s’ouvrir, d’apprendre encore et d’apporter aux autres.

Est-ce qu’il y a un évènement qui vous a particulièrement aidé dans votre carrière ?

J’ai vécu une expérience managériale, en tout début de carrière, avec des hiérarchiques totalement absents. J’ai eu la liberté de réaliser un projet de A à Z dans un environnement totalement hostile ce qui m’a permis de gagner en confiance, et de comprendre que ce n’est pas parce que vous réalisez des choses extrêmement compliquées que vous avez la reconnaissance qui va avec. Quand on apprend jeune que la reconnaissance n’est pas automatique, pas forcément lié à ce que vous avez pu faire, ça aide pour la suite. Cela permet ensuite d’avoir une certaine distance avec ces sujets.

Quel constat vous faites aujourd’hui de la transformation agile opérée chez GrDF ?

La transformation agile c’est venu de 2 constats  faits 2/3 mois après mon arrivée.

Le premier choc initial est venu du délai de mise en place d’un outil. Lorsque je suis arrivée on m’a dit « il faut vite boucler la version qui va être mise en production dans un an et demi ». Et là je me suis demandé comment peut-on savoir aujourd’hui ce dont on a besoin et attendre un an et demi. On avait que des paquebots capables de produire des versions en un temps très long et à coups de millions d’euros. Alors qu’en région certaines équipes arrivaient à mettre en place des outils très rapidement.

Le deuxième choc est venu de la rengaine « le métier, il ne sait jamais ce qu’il veut ». Mais par définition c’est normal. Il faut aider nos collaborateurs à préciser, c’est un peu notre boulot.

Il fallait proposer autre chose pour arrêter d’être des dinosaures en voie de disparition. On est partis sur les méthodes agiles. Aujourd’hui on y arrive tellement que l’on a plutôt des problèmes pour délivrer.

Au départ j’ai constaté des réticences du côté de mes équipes. Mais aussi un vrai blocage psychologique de directions de GrDF qui me disaient « on veut rédiger un cahier des charges, vous le donner, vous revenez, on vous dit que vous n’avez pas fait correctement et surtout je prends aucune décision, on n’a pas le temps. » Si tu n’as pas le temps tu ne fais pas du tout. Cette transition a été presque plus difficile pour eux que pour nous.

Aujourd’hui tout le monde connaît la CARMA (Cellule Cellule d’Action Rapide en Méthodes Agiles) chez GrDF. La transformation est reconnue et cela a sans doute permis des collaborations plus fructueuses, la modification de l’image du SI dans l’entreprise, cela a permis, bref, l’arrivée dans le nouveau monde.
Est-ce que cela a transformé GrDF ? Pas totalement mais quand même. Cela a transformé le SI et cela va au-delà du SI avec notamment la formation progressive des plus de 200 collaborateurs au rôle de product owner. On commence à avoir des gens qui réfléchissent de façon différente.

Vous pensez que les autres méthodes auront toujours leur place ?

Oui. Là où l’on est encore à l’adolescence de l’agilité. On peine un peu sur les sujets de TMA.

On multiplie le nombre de SI contrairement à l’époque où l’on essayait de tout faire rentrer dans la même boîte. La question c’est de savoir si l’on va parvenir à faire sédimenter correctement les applications que l’on crée ou de les faire vivre et mourir de façon harmonieuse dans la durée. On a encore cette question devant nous.

Il faudrait parler expérience utilisateurs et non plus fonctionnalités. Voir comment les gens utilisent les applications et en fonction de ça, revoir l’architecture globale.

Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter pour votre carrière ?

De toujours m’amuser !

Vous repartiriez sur d’autres métiers ?

D’autres métiers où il n’y a pas de dimension SI je pense que cela m’ennuierait. Faire du SI et autre chose, oui très bien ! Le SI étant au cœur de la transformation et de l’innovation, quand on a connu autre chose, je pense que c’est un métier dans lequel on a envie de rester. Le reste paraît presque fade.

Est-ce que vous auriez un message à faire passer aux girlzinweb ? Plus largement à toutes les femmes qui arrivent dans le domaine du SI ?

Je suis toujours surprise du peu de femmes qu’il y a dans les écoles d’ingénieurs. 30 ans après, ça n’a pas beaucoup changé. Et pour moi c’est une vraie incompréhension. Intéressez-vous aux carrières scientifiques parce que toutes les ruptures que l’on voit sont des ruptures technologiques. Le monde change par la technologie.

Le SI n’est pas à sa place en France : il est considéré comme une fonction support, un art mineur. De plus en plus, le vrai métier sera le SI appliqué. Il y a un vrai potentiel d’activités intéressantes et transverses donc il y a toutes les raisons pour que les femmes s’y intéressent.

Cette vision est-ce que vous la partagez avec les autres métiers de GRDF ?

Pas encore assez. J’entendais récemment que le manque de culture digitale était une forme d’analphabétisme. Le SI a une connotation très : c’est lourd, c’est cher, ça marche pas. Je demandais à un spécialiste de Gartner il y a deux ans : c’est quoi la différence entre le SI et le digital parce que moi je n’arrive pas à voir ? Et il me dit « c’est du rebranding de l’IT ». Les gens du SI se comportent beaucoup trop en exécutants, pas suffisamment en force de proposition. La distinction MOA/MOE c’est peut-être encore plus fort en France qu’ailleurs. On a besoin de gens qui sont capables de faire le lien entre les deux, de dire : j’ai bien compris ton problème ou les objectifs de l’entreprise, voilà ce que la technologie peut y apporter. Je marie les deux.

Merci Pascale Bernal.

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