Atelier d'entraînement à l'autonomie

Je travaille chez un client où le plateau de développement est organisé en holacratie. J’en avais déjà bien parlé ici. Cela fait plusieurs mois que j’observe un des cercles de notre organisation. C’est un cercle composé des rôles : développeur, référent de squad, référent qualité, référent architecture, scrum master. Sa mission est de développer les produits d’un domaine métier en particulier. Appelons-le le cercle “marketing”.

L’AUTORITÉ DISTRIBUÉE POUR UNE MEILLEURE EFFICACITÉ

En holacratie, l’autorité est distribuée. Brian Robertson utilise la métaphore du corps humain : “a network of autonomous self-organizing entities distributed throughout the body. Each of these entities, which are your cells, organs, and organ systems, has capacity to take in messages, process them, and generate output. Each has a function and has the autonomy to organize how it completes that function.”Il donne l’exemple suivant : dans une situation où l’on ressent du danger, si nos glandes surrénales devaient attendre de recevoir un ordre pour produire l’adrénaline nécessaire à une réaction adéquate à ce danger, cela ne fonctionnerait pas ou pas bien.Donc, si nous revenons à notre contexte, on demande aux cercles d’être autonomes dans l’exercice de leur mission, parce que l’on pense qu’ils sont les mieux à même de penser leur organisation.

PERDRE L’HABITUDE DE RECEVOIR DES ORDRES

Il y a une chose qui me marque dans l’environnement que je côtoie depuis ces 3 dernières années, c’est qu’il ne suffit pas de décréter qu’une équipe est autonome pour qu’elle le soit vraiment. Je vois que certaines personnes, tant habituées aux organisations pyramidales, sont figées et ont du mal à prendre l’espace qu'on leur donne. Je vois aussi plein de très jeunes développeurs, tout juste sortis d’école qui semblent surpris d’une telle “liberté”. Ils n’y croient pas et se méfient qu’on leur reprenne cette liberté au moindre faux pas. Ils cherchent absolument à reporter une décision finale sur un manager ou un scrum master ou un product owner...

Je reviens à mon cercle “marketing”. En les observant au quotidien, j’ai remarqué pas mal de problèmes. J’ai entendu des souffrances personnelles (pas envie de venir au boulot, des personnes seules face à des problématiques compliquées) et d’équipes (des rythmes de travail trop changeants, l’incapacité de développer de nouveaux produits). Du coup je leur ai proposé de faire une pause et de réfléchir ensemble à une nouvelle stratégie.L’objectif de l’atelier : “On a 2h30 pour voir si on doit changer des choses dans notre organisation à l'aube de la rentrée et compte tenu des enjeux qui nous attendent.”Le cadre (ce que l’on a le droit de changer) : L'organisation des équipes, les compétences, les méthodes, les rôles.

ÉCHAUFFEMENT : NOEUD HUMAIN

Pour créer une dynamique en début d’atelier, nous avons fait le jeu du noeud humain.

1er tour : On a formé un noeud avec une équipe de 6 personnes. On a désigné Marc comme chef de projet.Il a mis environ 6 minutes à nous démêler en nous disant quoi faire. Personne de l’équipe n’avait le droit de parler ou de l’aider. (Bon, on a refait 2 fois l’exercice parce que au début j’avais mal expliqué la consigne. Le noeud était impossible à dénouer…)

2ème tour : On a formé de nouveau un noeud et cette fois-ci on a laissé l’équipe se démêler de façon autonome. Marc n’avait qu’à observer. En moins de 2 minutes l’équipe était démêlée.

On a discuté des apprentissages de cet exercice : une équipe est plus efficace lorsqu’elle décide elle-même de son organisation. Les personnes au coeur de l’équipe sont plus à même de savoir ce qu’il faut faire pour se démêler qu’une personne extérieure.

DISCUTER DE CE QUI MARCHE/NE MARCHE PAS

Ensuite nous avons formé 2 équipes.Chacun avait pour consigne de lister les éléments à conserver et les problèmes du cercle (en lien avec le cadre énoncé plus haut).On a ensuite lu tous ensemble les résultats et priorisé les problématiques.On s’est retrouvé avec une liste d’une dizaines d'items de type :

Il nous manque des testeurs end to end (tests de comportement)

Les référents qualité et architecture manquent de temps pour accomplir leur mission

Nous ne sommes pas assez nombreux pour traiter des nouveaux projets

L’ORGANISATION ACTUELLE/LES ENJEUX

Jusque là, mes interlocuteurs étaient plutôt réceptifs. J’avais réalisé la partie la plus facile de l’atelier.Le plus dur était à venir : pour encourager les idées j’avais préparé une sorte de plateau de jeu.J’ai distribué à chacun des fiches-rôle représentant chaque membre de l’équipe. Chacun a complété sa fiche avec ses compétences, son niveau de connaissance des produits du portefeuille, sa quête personnelle.Ainsi que des petits cartons “scrum”, “kanban”, “scrumban”... Bref tous nos outils du moment.

Ensuite, le responsable de la roadmap a exprimé à haute voix les enjeux pour le cercle, d’ici la rentrée.
Nous avons placé les cartes sur un plateau de jeu en essayant de représenter l’organisation de l’équipe existante avec les personnes, les produits, les méthodes utilisées.

ON CHANGE TOUT

J’ai ensuite rappelé les problématiques que nous avions identifié plus haut. Et je leur ai demandé “qu’est-ce que l’on peut changer dans notre organisation actuelle pour résoudre ce problème ?”

La première réponse que j’ai entendu c’est : “On ne peut rien changer”. Nos interlocuteurs ne seront pas d’accords”. Je m’y attendais un peu. Effectivement,  Le changement allait peut-être engendrer des réactions négatives. Mais que c’était dommage de ne pas essayer.
La moitié de l’équipe s’est installée autour du plateau de jeu. L’autre moitié est restée debout.

Il y a eu pas mal de discussions. Mais rien ne bougeait.
Alors j’ai décidé de leur montrer le chemin. J’ai pris le premier problème et j’ai dit : où manque-t-il des testeurs end to end ? J’ai écrit "testeur end-to-end" sur un petit papier blanc et je l’ai placé en plein milieu. Ah ok il en faudrait un ici et un autre ailleurs ? Ok alors créez des rôles.
Jusque là on n’avait pas révolutionné grand chose. Juste demandé de nouvelles compétences au sein de l’équipe.

J’ai pris ma voix de speaker et j’ai rappelé : “profitez-en. Je vous donne 2h30 pour vous exprimer. Dire tout haut ce que je vous aimeriez changer”. Rien ne se passe…
J’ai donc foutu un gros bordel sur le plateau : j’ai bougé des fiches rôles, j’ai constitué de nouvelles équipes au hasard, j’ai distribué les produits un peu n’importe comment. C’est là qu’ils se sont un peu excités. “Ah mais non LUI ne peut pas bosser seul avec LUI, ils sont trop juniors.” “Ah mais LUI il en a marre de bosser sur CA”. “Et CECI pourrait être traité par la même équipe qui bosse sur CA”...
J’ai souri et je n’ai plus rien dit. Je les ai regardés bouger les “pions” et discuter. Émettre des avis, des objections. J’avais crée 3 cartes VETO mais ils n’ont pas eu besoin de s’en servir. Ils se parlaient et s’écoutaient suffisamment.

Au bout de 15 minutes j’ai demandé quels problèmes nous avions solutionnés. J’ai posé encore quelques questions. Quelques cartes ont bougé. Et puis on s’est arrêtés.
J’ai pris le résultat en photos. Je les ai félicités.

Au final ? L’équipe a proposé une redistribution complète des personnes, des produits, un renforcement des compétences scrum master et testeur, et une légère évolution de la méthode : chaque équipe travaillera sur un portefeuille de produits.
Ma grande satisfaction c’est qu’ils se sont amusés, ils ont choisi leur organisation, ils ont osé tout bouleverser et ils sont repartis avec le sourire.
L’autorité distribuée c’est le chemin que nous empruntons. Mais nous ne sommes pas encore parvenus à une autonomie complète des cercles. Pourquoi ? Parce que notre proposition a eu besoin d’être validée par le cercle englobant, parce que malgré une restitution détaillée de notre travail, certains point pourront tomber aux oubliettes, et je ne suis pas certaine que l’équipe fasse suffisamment de bruit et râle pour aller au bout de leur idée. Mais c’est déjà un bon début.

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