L’école cette organisation mystérieuse

J’ai passé 21 ans à l’école. C’est beaucoup 21 ans. Et pourtant je n’ai pas la moindre idée de comment fonctionne une école primaire, un collège, un lycée. Aujourd’hui, je me sens frustrée de ne connaître ces systèmes que du point de vue de l’élève. Je me dis que cela doit être passionnant de découvrir l’organisation d’un établissement scolaire. Et qu’il doit s’y passer des phénomènes tout aussi captivants que ceux que j’observe depuis 13 ans en entreprise.

Je conçois ma vie d'entrepreneure comme le cadre d’une exploration sans limite de mes envies, curiosités, idées. Le monde de l’éducation en fait partie comme raconté ici. Et comme je pratique la méthode des petits pas, ma toute première idée d’action pour me rapprocher du domaine de l’éducation était : interviewer mon oncle Didier Roux qui a travaillé toute sa carrière dans des collèges publiques en tant que professeur de français et anglais, puis principal adjoint puis principal. Il est à la retraite désormais.

Didier n’est pas seulement mon oncle mais aussi celui que je considère comme un des grands lettrés de ma famille. Le genre de tonton qui vous raconte un paquet d’histoires lors d’interminables visites des châteaux de la Loire ou qui a une chose à vous dire sur à peu près toutes les tombes du cimetière du Père Lachaise. Ironie du sort, ce même tonton a souffert d’un AVC il y a quelques années qui a écorné son centre du langage. S’il a des difficultés à s’exprimer et qu’il est devenu le plus silencieux de la famille, cela ne fait qu’accentuer cette image de “grand sage” que j’ai de lui. Car en plus d’avoir des choses enrichissantes à dire sur à peu près tout, il est capable de grands silences et d’observation.

Si son aphasie l’a, de son point de vue, limité dans ses explications, elle n’en a pas rendu son discours moins passionnant :

GG : Dans quel type d’établissement as-tu travaillé pendant ta carrière ?

DR : Je n’ai travaillé qu’en collège. A la ville, à la campagne mais toujours au collège. J’avais le statut d’un professeur qui n’allait que dans les collèges (PEGC). Ce statut n’existe plus maintenant.

J’ai ensuite eu mon CAPES. J’aurais pu demander d’aller travailler en lycée mais je ne l’ai pas fait.

GG : Sur quels différents postes as-tu travaillé ?

DR : J’ai d’abord été professeur de français et d’anglais. Et professeur principal. Pour chaque classe il y a un professeur principal. C’est un rôle qui ne sert pas à grand-chose. C’est juste que les familles viennent plus facilement vers toi. Pour les enfants c’est important. Son nom est écrit en bas du bulletin. Dès qu’il y a un problème dans la classe ils vont voir leur professeur principal. Et ils lui font un cadeau à Noël (rires).

Puis, quand je suis arrivé au collège de Stalingrad à Saint-Pierre-des-Corps, ils cherchaient un coordinateur. Ce collège était en ZEP, j'ai donc été coordinateur de la ZEP (un collège avec les écoles qui en relèvent).

Puis j’ai été "faisant-fonction" de principal-adjoint pendant un an. C'est-à-dire que j’ai pris la fonction tout en restant professeur.

Enfin, j'ai passé le concours national pour être "Personnel de direction" en 1993. Selon le classement tu peux choisir ton poste. (Pour info j'ai pu prendre un poste de proviseur (adjoint, on commence par ça) mais j'ai préféré le collège, j'étais mieux avec ce public, c'était mon choix).

GG : Qu’est-ce que fait un principal dans un collège ?

DR : (Rires)

Cela dépend des collèges. Ce que l’on est censé faire n’est pas vraiment marqué quelque part. Dans le premier poste que j’ai eu, je n’avais pas de CPE. Donc je jouais aussi un peu ce rôle. Dans un autre collège (le collège de Montrésor) avec 130 élèves, je n’avais pas de CPE, pas d’adjoint, je faisais tout. J’ouvrais le matin, je fermais le soir, etc. Puis dans le gros collège de Montlouis (650 élèves), j’avais un adjoint et un CPE. Je ne faisais pas la même chose. C’était un autre boulot, vraiment.

Quand j’étais principal, j’avais des relations avec de nombreux acteurs : un adjoint, les élèves, les profs, les parents, le personnel (secrétaire, gestionnaire, CPE, surveillants, cuisine, ménage, factotum, infirmier, médecin scolaire ) dans les murs mais aussi avec la mairie, le département, l’Inspection académique, la gendarmerie, j’en passe... Le curé aussi.

GG : Quelle est la différence entre un directeur d’école, un principal, un proviseur ?

DR : La direction des établissements du premier degré est effectuée par un professeur des écoles qui assure une fonction de direction contre décharge d'une partie de son service d'enseignement. Il n'est pas le supérieur hiérarchique de ses collègues enseignants. Il n’a pas de pouvoir sur eux. Son supérieur hiérarchique est l'inspecteur de l'Éducation nationale. En revanche, c’est un rôle qui nécessite beaucoup d’échanges avec la Mairie.

Le principal est le directeur d'un collège (de la classe de sixième à la classe de troisième, c'est-à-dire les élèves de 11-12 ans à 14-15 ans). On devient principal après un concours national. La responsabilité est différente.

le proviseur est le directeur d'un lycée (de la classe de seconde à la classe de terminale, c'est-à-dire les élèves de 15-16 ans à 17-18 ans).

GG : Comment sont vécus les niveaux hiérarchiques dans les établissements ?

Dans un collège, le principal c’est le patron.

GG : A quoi est-ce que l’on voit qu’un collège marche bien ?

DR : (Rires)

Très bonne question.

Ça dépend pour qui.

Les personnes de l’extérieur regardent combien d’élèves réussissent le brevet. Pour les parents, c’est leur gamin qui compte. Du moment que l’enfant se sent bien, qu’on ne les embête pas, c’est un bon collège.

Pour le département, ce sont les résultats : combien passent en cinquième, en quatrième, etc. Ce sont les chiffres qui comptent. Et surtout, le département regarde s’il n’y a pas de problème, si on ne fait pas de vague. Un bon principal, on n’entend rien de son collège, ça se passe bien.

Moi je ne voyais pas ça comme ça. Quand je suis arrivé à Montlouis. On m’a demandé : “Quel est votre projet pour le collège ?” J’ai répondu que j’en avais pas. “On va voir comment ça se passe”. Je ne leur ai pas dit mais dans ma tête, pour que ça se passe bien dans un collège, il faut que les professeurs se sentent bien. Un professeur est tout seul dans sa classe. S' il n’est pas heureux, ça ne se passe pas bien avec les gamins.

GG : Comment est-ce que tu t’assurais que les professeurs se sentent bien ?

DR : Beaucoup d’humour ! C’est ma façon de travailler. Quand je suis arrivé à Montlouis, la principale que j’allais remplacer avait expliqué aux professeurs : “Je ne le connais pas bien, mais il a de l’humour !”

J’étais connu comme ça.

Surtout, ce que les professeurs ont aimé c’est que j’étais sur le terrain. J’étais dans la cour, à l’entrée, ils me voyaient sans arrêt partout. Dans le petit collège, je connaissais tous les gamins. Mieux que les professeurs. Quand je suis arrivé à Montlouis je ne pouvais plus connaître tous les gamins. Et ça ne m’a pas plu.

GG : Comment as-tu fait pour prendre la température dans un gros établissement comme celui de Montlouis ?

DR : tu marches, tu te déplaces. Tu regardes à la cantine, dans les couloirs. T’es là avec les gamins, tu regardes ce qu’il se passe. Idem dans la salle des profs. Quand un principal rentre dans la salle des professeurs, ou bien c’est le patron qui arrive et tout le monde se tait. Ou bien les conversations démarrent naturellement. Moi je parlais avec les professeurs pour voir comment cela se passait. Ou par petits groupes. Ça ne se passait pas bien avec la précédente principale car elle est arrivée et les a forcés à faire des choses. Comme un petit chef. Ils ne l’aimaient pas.

Dans un collège, il suffit d’un ou deux professeurs qui ont une grande gueule et c’est compliqué. Ça dépend de ce que tu as. Mais avec l'expérience, j’ai trouvé que pour faire avancer les choses, il faut travailler avec les qualités des gens, pas avec leurs défauts.

Quand j'étais principal adjoint, j'avais dans l’établissement un prof très con. Une gueule forte, suivit par les autres pour débiner, critiquer la hiérarchie. Il était prof principal d'une quatrième AES (des élèves en difficulté). Un chef, un meneur. Je l'ai laissé mener sa barque. Quand il avait un projet, j'étais derrière. Je suis allé le rencontrer avec les élèves lors d'un séjour dans le Périgord. Il est resté aussi con mais il a apporté beaucoup aux enfants. C'était le but.

J'ai souvent dit à un prof: "Merci, merci pour les élèves". Ça ne coûte rien de dire merci.

GG : comment tu t’y prenais avec les professeurs pour trouver des solutions aux problèmes ?

DR : Ça dépendait. Parfois j'échangeais avec un professeur tout seul si la problématique le concernait. Ou avec le professeur principal si le souci concernait une classe. Je travaillais aussi avec l’ensemble du corps professoral mais c’était plus difficile. Quand tu as 40 professeurs devant toi… On ne parle pas à 40. Je travaillais alors par petit groupe. Dans le gros établissement de Montlouis je n’intervenais pas toujours. C’était le travail de l’adjoint ou du CPE. Ça dépendait du problème.

J’avais une adjointe, avec elle c’était génial. Elle était calme et réglait plein de problèmes simplement.

GG : Si je résume, les qualités pour un bon principal c’est l’humour, le calme, des compétences d’animation d’équipe ?

DR : pour que ça se passe bien il y a deux choses :

Il faut aimer les professeurs.

Il faut aimer les enfants.

J’ai été professeur pendant 23 ans avant de devenir principal d’un collège. Je savais ce que c’était. Et ça m’a beaucoup aidé. A un moment à Montlouis, deux gamins faisaient anglais 2ème langue. Je me suis chargé de leur faire classe. Les professeurs m’ont regardé en me disant “Mais il a fait ça ce con !”

Il faut aimer les professeurs et leur montrer que tu es avec eux. Il y a des cons, il faut leur dire aussi à ceux-là.

GG. J’ai une dernière question : qu’est-ce qui est important pour toi pour l’avenir des collèges ? Sur quoi les professeurs, le principal, doivent mettre leur énergie ?

DR : J’ai toujours pensé à un truc important : tout se passe dans la classe. Tu fais ce que tu veux, si le prof n’est pas heureux, ça passera pas. Il faut aider les professeurs à être bons. On met en place des gros projets, c’est beau, on passe au journal, etc. Tout passe par le prof. Un prof est tout seul. Les portes sont fermées. C’est là que ça se passe.

GG : il faut qu’il soit bon et qu’il soit heureux si je comprends bien ?

DR : (rires)

Oui alors sa vie privée c’est autre chose.

J’ai pris des professeurs dans mon bureau pour leur dire : “Attention, vous êtes un bon professeur, je le sais !” Ça aide un peu. Mais on ne peut pas toujours faire quelque chose. Mais quand même c’est important de les questionner, sur leur famille, leurs enfants. Tous les patrons pas trop cons devraient faire ça.

GG : Comment les professeurs ont-ils du feedback sur leur travail ?

DR : c’est difficile à avoir, bien sûr. Un professeur n’est jamais content de ce qu’il a fait. Tu ne sors pas d’un cours en te disant “Tiens ça s’est bien passé ce truc là !” Ça peut arriver mais c’est rare. C’est plutôt “J’avais préparé des trucs mais ça je n’ai pas pu le faire, ça non plus”. C’est un boulot très difficile pour ça parce que les professeurs ne voient pas ce qu’ils ont fait. A part en anglais, la première année en sixième. Les élèves partent de rien et à la fin de l’année ils ont appris quelque chose. Il faut être derrière les professeurs pour leur donner du feedback.

GG : Est-ce qu’il arrive que des professeurs s’aident entre eux ?

DR : Oui. Mais travailler ensemble c’est difficile parce que pendant le cours tu es tout seul du début à la fin. C’est difficile que quelqu’un rentre là-dedans et te fasse du feedback sur le contenu de ton cours. J’ai vécu ça une fois avec un bon copain professeur d’anglais. Nos classes étaient à côté. On sortait des cours, on ouvrait la porte et on se montrait à chacun le tableau en disant “Regarde j’ai fait ça”. C’était génial. Et on préparait des choses ensemble. Ce partage est plus pratiqué dans certaines matières. En gym, par exemple, ils préparent tout le programme ensemble en début d’année.

GG : Merci Didier pour cet échange.

Cette interview c’est exactement ce que je voulais : lever un peu le voile sur le fonctionnement d’un établissement scolaire, comprendre la dynamique entre les différents rôles, comprendre un peu mieux les professeurs. Je vois quelques similitudes entre ce que vivent les managers et ce que vivent les professeurs. Notamment la difficulté pour obtenir du feedback et la solitude au quotidien. Cela me donne envie d’en faire d’autres. Si vous avez des personnes en tête, qui pourraient avoir un autre point de vue, une autre expérience, je suis preneuse.

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