Ce qu’il se passe dans un séminaire

9h00 du matin. Je suis devant un beau bâtiment dans Paris. Une grosse porte en bois cache un lieu dans lequel je vais passer une journée entière. Ce lieu je ne le connais pas. L’équipe ? Très peu. J’ai juste passé une bonne heure au téléphone avec leur manager. Ma neutralité c’est ce qu’ils recherchent. Mais pas que. Ils veulent pouvoir passer du temps ensemble à réfléchir à leur fonctionnement, leurs résultats, leurs objectifs, sans jouer aucun autre rôle que le leur : Martin, développeur IOS, Julie, community manager, Charles, manager, Hakim, ergonome, etc…

Les objectifs de la journée ? Nous les avons fixés ensemble avec le manager. Et je vais les re-questionner en présence de l’équipe. En réalité le séminaire a déjà commencé pour moi. Je veux dire que mon travail a déjà démarré. Cet appel avec le manager m’a révélé tout un contexte, une vision de l’équipe par celui qui la manage. Et ça ce n’est pas rien. Il a souvent identifié des problèmes et même des solutions. C’est normal c’est son travail de trouver des solutions. Et le type de solution qu’il propose fait peut-être partie du problème. Enfin, à ce stade je ne sais pas grand chose. Je n’ai que sa vision. Et quelques éléments posés dans un décor très abstrait.

J’arrive rarement les mains vides à ce genre de journée. Et pourtant je pourrais. Parce que le plus important n’est pas vraiment le contenu que je vais proposer, les activités, mais plutôt les étapes que l’équipe va vivre dans la journée.

Le psycho-sociologue américain Bruce Wayne Tuckman présente “un modèle de construction de la cohésion d'un petit groupe”. C’est un modèle intéressant qui explique les étapes par lesquelles une équipe devient véritablement équipe : d’une somme d’individus à une équipe performante. Ces étapes sont : FORMING, STORMING, NORMING, PERFORMING. Ce que j’observe c’est que le séminaire, qui n’est autre qu’un moyen, va permettre à l’équipe de vivre ces mêmes étapes en une seule et même journée.

Je fais un bond deux ans en arrière. Je me souviens d’une journée au milieu du parcours de formation de coaching que je suivais. Je faisais partie d’une équipe de 6 personnes. Nous avions 3 jours devant nous pour explorer les dynamiques de groupe. Le formateur, sans vraiment nous le dire, ne souhaitait pas seulement nous transmettre une théorie mais nous FAIRE VIVRE ces 4 étapes de constitution d’une équipe, . Hors nous étions tellement conciliants les uns envers les autres, que notre dynamique de groupe (nos interactions, nos modes de prise de décision, nos rôles…) n’a jamais vraiment évolué. Et le résultat de nos activités s’en ressentait. Nous étions plutôt mauvais et à la traîne par rapport au reste des équipes. Le formateur ne cessait de dire “vous n’avez pas encore stormé”.

C’est un peu ce qui s’est passé en première partie du séminaire avec Martin, Charles, et les autres. Nous commençons la journée par faire le bilan de l’année passée. La matinée est calme dans le sens où l’on s’écoute, on se questionne, on s’observe. On respecte les règles proposées et les temps de parole des uns et des autres. FORMING donc. Même si plusieurs problèmes ont été énoncés, on tourne un peu autour du pot. Sans FRANCHEMENT aborder un sujet.

A 15h, l’équipe est en pleine digestion du copieux déjeuner. L’atmosphère commence à s’alourdir. Il fait chaud. On a utilisé toute sa patience, sa tolérance. C’est le parfait timing quand on y réfléchit. Le parfait timing pour que le système en place révèle sa difficulté du moment, le grain de sable dans le rouage. L’équipe est entrain de travailler sur une thématique abordée dans la matinée. Je questionne, j’interroge les liens que je perçois mais l’équipe est comme engluée. Ce sont toujours les mêmes qui parlent et les mêmes qui se taisent. On est plus du tout dans l’harmonie du matin. Et ce qui se passe chez moi, facilitateur, est physique : je me sens comme un esclave qui tire un chariot rempli de tonneaux vides et pourtant lourds, très lourds. Je vois les visages de certains qui me regardent en attendant qu’un miracle ait lieu. Que enfin la scène se termine. D’autres ont les yeux fuyants. Certains ont carrément déjà pris la fuite et tripotent leur cigarette pour accélérer l’heure de la pause. Et alors il arrive vite le moment où je sors de ce corps d’esclave, je me raidis et comme un réalisateur qui interromps brutalement une scène je dis “STOP, LÀ IL EST ENTRAIN DE SE PASSER QUELQUE CHOSE”. C’est ça la beauté d’un séminaire : ce que vit l’équipe au quotidien se rejoue en une journée. Après les efforts du matin, chacun rentre paisiblement dans son rôle, les phénomènes d’auto-régulation du système l(‘équipe) se remettent en place et PAF ! Ce qui ne va pas saute aux yeux. STORMING. Enfin pour moi c’est d’abord physique comme je le disais plus haut. J’ai l’impression d’être aspirée dans le système et de ressentir le malaise dont il est question. Je me sens lasse, fatiguée, démotivée. L’esclave dans la scène.

Tout ce qui se passe ensuite est passionnant. Quand le problème de l’équipe vient de se jouer devant nos yeux à tous, c’est plus facile de mettre des mots dessus et de crever l’abcès. Enfin, plus facile… Certains n’auront jamais envie de quitter leur rôle, d’autres n’auront plus d’énergie. Tout ceci dépend de là où en est l’équipe. Depuis combien de temps souffre-t-elle. Pour Martin, Hakim et les autres, après le sursaut du facilitateur, les visages ont changé d’expression, certains ont fait tomber leur cigarette et tout le monde est ravi de pouvoir donner son point de vue sur la précédente scène. L’air est redevenu respirable, l’énergie s’est remise à circuler et tout le monde s’est positionné en responsabilité pour trouver des solutions au problème. NORMING.

La suite du séminaire est en général une partie de plaisir. L’équipe est comme soulagée et chacun peut remettre ses compétences au service du groupe. Moi je n’ai plus grand chose à faire. PERFORMING.

En y réfléchissant, toutes ces étapes ont également lieu dans un coaching d’une heure avec une seule personne. Après avoir posé l’objectif, on explore la réalité du coaché, son monde, ses croyances et enfin on met le doigt ensemble sur ce qui est dissonant. Le coaché est ensuite libéré d’un poids, conscient du noeud de son problème et plein d’énergie, d’envie pour passer à l’action. FORMING, STORMING, NORMING, PERFORMING. Attention le coaching n’est pas de la magie. Il faut parfois plusieurs séances pour dénouer un noeud qui a pris forme il y a longtemps. Parfois le contexte n’est pas favorable. Ce n’est pas le moment. Il y a plein de choses qui rentrent en jeu.

Voilà ce dont j’avais envie de vous parler cette semaine. Avec le temps j’ai appris à me servir de mes perceptions, de mon ressenti (“comme un esclave qui tire un chariot rempli de tonneaux vides et pourtant lourds, très lourds”….) pour les mettre au service de l’équipe. Ces moments sont vraiment précieux et passionnants à vivre.

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